20 avril 2011

Les orthophonistes sont-elles nulles ? La suite… de clic en clic, discussion avec Laurent , rédacteur de l’excellent blog « goodbye bégaiement »





1 – Laurent, tu es le rédacteur du blog « goodbye bégaiement », peux tu nous raconter pourquoi tu as eu envie de créer ce blog ?

Je bégaie depuis l’âge de 6 ans et le bégaiement a toujours été au centre de ma vie. Ma mère s’est démenée pour trouver des solutions et j’ai expérimenté beaucoup de choses : l’orthophonie, les traitements médicamenteux, la méthode Tomatis, l’acupuncture, l’homéopathie… Elle m’a même emmené en désespoir de cause voir un magnétiseur ! Je me rappelle d’un petit bonhomme bedonnant en costume 3 pièces qui balançait son pendule devant mon ventre et posait sa main sur ma gorge pour me transmettre ses bonnes ondes… Ca me fait sourire maintenant mais cela montre bien l’impuissance et le désarroi vécus par les parents. Jeune adulte, j’ai poursuivi cette recherche désespérée en allant suivre le stage d’un ancien bègue, en essayant la sophrologie ou l’ostéopathie. A l’époque, on se débrouillait comme on pouvait : l’information sur le bégaiement était difficile à trouver, pas toujours accessible et souvent réservée aux professionnels. Et puis la révolution Internet est arrivée et j’ai découvert des sites canadiens et américains qui diffusaient des textes intéressants et grand public sur le sujet et surtout publiaient les témoignages de personnes qui s’en étaient sorties. J’ai appris plein de choses et j’ai fait mon propre cheminement. Tout cela m’a permis de surmonter en grande partie le bégaiement et surtout de ne plus le laisser diriger ma vie. Alors, j’ai voulu partager tout cela. En gros l’idée du blog était la suivante : je vais partager mon expérience, rassembler l’information utile et vous faire gagner du temps !
En tant que professionnelle, j’avoue, j’ai trouvé des liens et des témoignages très intéressants

2 – Quelle est la différence entre ton blog et d'autres sur le bégaiement ?

Il y a très peu de blogs actifs sur le bégaiement : celui d’Alexandre (« Parole de bègue »), d’Olivier (« Un Olivier sur un iceberg » et celui de Jérôme (« Au royaume des muets »).
Chacun a son angle d’approche, ses sujets de prédilection et son style, et je crois que nous sommes complémentaires. Je profite d’ailleurs de l’article pour faire un clin d’œil particulier à Olivier qui fait un boulot pas toujours facile d’information et de vulgarisation des dernières découvertes scientifiques sur le bégaiement.
  Çà pique ma curiosité, on va l’inviter lui aussi !!

Ma spécificité se situe peut-être dans ma volonté d’adopter un ton résolument optimiste et parfois humoristique.pas seulement parfois, moi je me marre très souvent, j’avoue !!
 Van Riper disait que le bégaiement et les pensées négatives ne peuvent pas dormir dans le même lit.
Qui est Van Riper, éclaires- nous = > Charles Van Riper (1905 – 1994), auteur, chercheur, praticien qui a révolutionné au XXe siècle l’approche thérapeutique du bégaiement. Il présentait la particularité d’être lui-même une personne qui bégaie.
Je trouve cela très juste et j’essaie de suivre ce conseil. Il y a énormément de culpabilité, de honte et de frustration chez les personnes qui bégaient (et leurs parents) et il me paraît important d’alléger le climat, de dédramatiser les choses et de faire un peu d’autodérision. A mon avis, c’est d’ailleurs le premier travail à réaliser par un thérapeute ou une personne qui veut trouver des solutions à son bégaiement : déculpabiliser (personne n’est responsable) et créer un environnement positif. A partir de là, les conditions sont réunies pour aller de l’avant. Quand une personne commence à être capable de faire de l’humour sur son bégaiement, c’est que les choses sont en bonne voie. Cette volonté d’optimisme se retrouve aussi dans le contenu : je veux montrer qu’il existe des solutions et que des personnes réussissent à surmonter ou apprivoiser leur bégaiement. Rien ne m’énerve plus que des affirmations fatalistes telles que « on reste bègue toute sa vie » ou « il y a autant de bégaiements que de personnes qui bégaient ». A part décourager toute initiative et vous garder la tête sous l’eau, je ne vois pas ce que cela apporte… Et surtout je pense sincèrement que c’est totalement faux !
Je propose aussi une section téléchargement où les lecteurs peuvent télécharger gratuitement des livres d’auto-thérapie. Je me suis même lancé dans l’édition de « vrais » livres ! Un pour les enfants qui bégaient  (Des fois, je bégaie de Eelco de Geus) et un qui sort début mai à destination des adultes, écrit par 28 spécialistes de la parole qui ont eux-mêmes bégayé : « Conseils pour ceux qui bégaient ». Comme quoi le bégaiement mène à tout !


3 – Ton article « les orthophonistes sont-elles nulles » est resté assez longtemps dans la liste des messages les plus lus... comment est venue l'idée de cet article ?

J’avais commencé à écrire un article sur l’orthophonie, mon expérience de patient, les études nécessaires et le contenu des séances… Je l’avais mis de côté parce que je le trouvais un peu plat. Il me manquait un angle d’attaque…

Au départ, je n’avais d’ailleurs pas spécialement envie de défendre les orthophonistes mais deux choses m’ont incité à le faire. Tout d’abord, les commentaires assassins laissés sur Internet par certains déçus de l’orthophonie ou promoteurs d’autres solutions. De manière générale, je suis agacé par cette propension qu’ont certains acteurs du monde du bégaiement à débiner ce que font les autres. Il y a déjà peu de gens qui s’y intéressent alors si en plus c’est pour se tirer dans les pattes…

Ca m’agaçait d’autant plus que, depuis quelques mois, j’avais eu la chance, grâce au blog, de faire connaissance virtuellement ou réellement avec des orthos spécialisées dans le bégaiement. Et, je le dis sincèrement, je les trouvais toutes plus formidables les unes que les autres ! Elles ne sont pas très nombreuses mais hyper actives ! C’est une petite tribu de passionnées à l’enthousiasme communicatif. A Montpellier, j’ai rencontré Jacqueline Bru, représentante APB, qui organise des séances de groupes pour enfants, adolescents mais aussi parents. Les résultats sont réels, une de ses patientes prépare même le concours à l’école d’Ortho. J’ai fait aussi la connaissance de Sylvie Brignone et vu son film, « Image de soi, regard de l’autre », un documentaire très touchant sur les personnes qui bégaient et leur famille. J’ai croisé dans une réunion d’information les représentantes d’Ortho Faso et de l’association Perle qui animent des stages au Burkina Faso et au Maroc. Je suis aussi en contact avec Véronique Stuyvaert, qui anime l’APB Belgique, ou encore Christine Tournier-Badré sur Lille. Toutes font preuve d’enthousiasme mais aussi de simplicité, d’humilité et d’un réel désir d’ouverture et de collaboration avec les personnes qui bégaient. Ma rencontre avec Véronique Aumont-Boucand en est la parfaite illustration. J’étais de passage à Paris et, en sortant de ma réunion, je me suis dit que je pourrais essayer de la rencontrer. J’ai pris mon téléphone et appelé son cabinet. Il était tard, elle avait donné un cours au DU qu’elle anime à Paris V, était repassée à son cabinet pour ses consultations et s’apprêtait à partir. Je ne l’avais jamais rencontrée et on avait juste échangé 1 ou 2 fois par mail. Elle aurait pu trouver une excuse polie pour ne pas me recevoir. Au contraire, elle a accepté et attendu que j’arrive. On a parlé durant une heure à bâtons rompus et j’en garde vraiment un très bon souvenir.

J’ai donc repris l’article pour faire partager mon expérience. Pour la petite histoire, j’ai longtemps hésité à utiliser ce titre un peu provocateur. Et finalement, je me suis posé la question : "qui est-ce que je veux convaincre ?" Pas les orthos, qui savent bien qu'elles ne sont pas nulles. J  Pas non plus les gens qui sont satisfaits de leurs soins. Non, je veux m'adresser à ceux qui se fondent sur leur unique expérience malheureuse ou sur ce qu’ils lisent ou entendent sur les orthos. Est-ce qu'ils allaient lire mon article si je titrais "les orthos sont formidables" ? Sûrement pas… Au final, ça a été bien compris par les orthos. Il y en a juste une qui m'a gentiment grondé en me disant : "j'envoie des patients sur votre blog et la première chose sur laquelle ils tombent c'est "les orthophonistes sont-elles nulles ?»

Je crois qu’il y avait un vrai malaise chez certaines d’entre elles, un ras-le-bol d’être stigmatisées… Certaines m’ont même écrit pour me remercier. C’est d’ailleurs grâce à cet article que nous avons fait connaissance et que j’ai découvert l’excellent, le décapant, le pertinent blog Elsass Ortho.
Je pense que l’article a été bien perçu, c’est vrai que l’illustration du bûcher m’a un peu fait peur !! Quant au titre, c’était bien choisi, un bon coup de pied dans la fourmilière !


4 et 5 - Quand tes lecteurs ou ceux d’autres blogs ou forums parlent des orthophonistes, qu'est ce qui revient le plus souvent ?
Bah qu’elles sont nulles ! J Non, sérieusement, c’est forcément biaisé car ceux qui écrivent sont ceux qui n’ont pas encore trouvé de solution. Et fatalement, ils ont souvent déjà essayé l’orthophonie. Mais s’il faut isoler un reproche, ce serait celui-ci : « Dans son cabinet, tout allait bien mais dès que je sortais, le bégaiement revenait.» Ca va sûrement vous décevoir mais les orthos semblent avoir un magnétisme à ondes courtes : on perd le signal dès qu’on sort du cabinet ! Acquérir des techniques de fluence est bien sûr une étape nécessaire. En plus de corriger certains « mauvais » réflexes acquis, elles agissent un peu comme la plume de Dumbo : elles rassurent la personne qui bégaie. Les stages d’anciens bègues fonctionnent d’ailleurs sur le même principe. Toute la difficulté est d’oser appliquer ces techniques dans des situations stressantes pour renforcer notre confiance dans notre nouvelle capacité à communiquer… jusqu’au jour où l’on est capable de voler sans leur aide. C’est un apprentissage long et progressif, d’où la nécessité de compléter les séances individuelles par des groupes de parole, des jeux de rôle et des exercices « sur le terrain ». Je conviens que ce n’est pas toujours facile à mettre en œuvre mais certaines orthos le font.

6-  Quelles sont les choses positives qui reviennent ?
Apparemment, vous ne recourez que très rarement aux châtiments corporels et ça, c’est plutôt bien perçu.
Comme quoi, la formation initiale a vraiment progressé !!! J)


7 – Et enfin, y aurait il une prise en charge idéale ?

Pour les enfants, il est maintenant reconnu que plus la prise en charge est précoce, mieux c’est.
 Bien !! Nous sommes tous d’accord
Quelques séances peuvent s’avérer suffisantes pour éliminer le bégaiement.

Pour les personnes chez qui le bégaiement a eu le temps de s’installer, ce sera forcément plus long et complexe. Et ça, il faut que le patient en soit conscient. Et les pubs ou reportages sur les stages qui « guérissent du bégaiement en 1 semaine » n’aident pas à intégrer cette donnée. Guérir du bégaiement, c’est un parcours personnel long mais enrichissant.

Comme je l’ai déjà dit, il faut compléter les séances individuelles par un travail en groupe et des mises en situation. L’implication du patient et sa capacité à se fixer ses propres objectifs de progrès sont bien sûr essentielles. Votre rôle est difficile car il faut accompagner tout en laissant le patient se prendre en main et construire son propre plan d’action. C’est un peu comme au tennis : si vous ne prenez qu’une heure de cours par semaine, ne jouez que contre votre prof et ne faites jamais de match, vous allez sûrement faire des belles balles à l’entraînement mais vous prendre une bonne rouste lors de votre première confrontation !

Il faut donc compléter les séances individuelles par des exercices en groupe qui permettent de parler avec d’autres partenaires et surtout sous le regard des autres. Le groupe permet aussi d’être plus fort et d’oser faire certaines choses. A Montpellier par exemple, des ados suivis par Jacqueline Bru sont allés présenter la météo sur France 3. Je vous laisse imaginer la confiance que cela leur a donnée !
Génial !!

Les séances de groupe ont aussi une autre vertu. Elles vous permettent de voir qu’il y a des gens très bien qui bégaient ! Tout à coup vous n’êtes plus seul au monde, vous n’êtes plus cet alien au milieu d’une famille et de camarades d’école « normaux ». J’écoutais hier l’interview radio de Morgane, une jeune suissesse. Elle expliquait justement qu’elle s’était longtemps dit : « Pourquoi je bégaie et pas lui ou elle ? Pour moi, je n’étais pas normale, j’étais celle qui ne devait pas être là. J’étais la honte de tout le monde, la créature la plus horrible qui puisse exister au monde ! » Pas étonnant donc que le premier cri du cœur sur les forums soit souvent : « enfin des gens qui me comprennent ! ». C’est un soulagement incroyable de voir qu’on n’est pas seul et qu’on peut échanger avec des personnes qui vivent la même chose que vous. J’ai lu quelque part qu’il faudrait que tout enfant qui bégaie connaisse un autre enfant dans le même cas mais aussi un adulte qui renvoie une image positive, qui a une vie épanouie, avec ou sans son bégaiement…

Depuis quelque temps, certaines orthos recourent aussi aux thérapies comportementales et cognitives. Les personnes qui bégaient se sont construites autour du bégaiement, ont accumulé des peurs et des croyances qui les amènent à éviter les situations de parole, à se sentir constamment jugées, à se croire incapables de communiquer, à être submergées par des crises d’angoisse voire de panique. C’est un véritable syndrome d’enfermement et il faut faire éclater cette gangue de peurs.

Grâce à ces  Thérapies Comportementales et Cognitives, [TCC] le thérapeute va permettre à la personne qui bégaie de travailler sur ses peurs, ses évitements et restaurer peu à peu sa confiance en ses capacités à communiquer et à progresser.

Il est aussi essentiel d’associer la fratrie, les parents et les grands-parents. Le bégaiement est souvent tabou dans les familles, on n’ose pas aborder franchement le sujet, ce qui renforce le sentiment de honte et de culpabilité. Parler est un soulagement et permet aussi aux proches de comprendre la complexité du bégaiement et de mieux accompagner la personne qui en souffre, sans jugement. Organiser des réunions entre familles est une excellente chose. J’ai eu la chance d’être invité comme témoin à une réunion de ce type sur Montpellier : c’était très émouvant et très riche. Mais qu’est-ce qu’il y a comme culpabilité et souffrance : il faut vraiment faire sortir tout cela !
La mise en place d’une thérapie systémique peut être un moyen de sortir de tout cela, il me semble, on prend ainsi  en charge la famille et non juste une personne porteuse d’un symptôme et/ou trouble

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